Et ce blog porte le deuil…

Il y a eu d’autres hommages ici : Pete Seeger et David Bowie par exemple, mais voilà 5 jours que Jim Harrison s’est éteint et je suis restée muette… Désormais quand nous parlerons du dernier roman de Jim Harrison, ce sera vraiment le dernier que nous évoquerons, car il n’y en aura plus d’autre ! Et comme je suis heureuse de ne pas les avoir tous lus, car Jim me tiendra encore compagnie quelques temps !

C’est un jeune collègue qui me l’a fait découvrir, en français et en même temps que James Crumley, autre incroyable écrivain américain déjanté, drôle, brillant et atypique, comme seule l’Amérique sait les produire. Avec James Welch, c’est mon trio gagnant d’une écriture originale, marginale, rurale, à la fois désespérée et comique qui met en scène des personnages hors norme mais dans lesquels on peut tous se reconnaître. Paumés dans les montagnes du Montana, pêchant dans les rivières du Michigan en buvant des bières, dégustant avec des potes une viande sauvage cuite au barbecue, pris dans la neige, les questionnements sur les origines, le sens de la vie, obsédés sexuels, alcooliques, gourmets, aventuriers, romantiques et idéalistes, risquant tout car n’ayant rien à perdre, se laissant manipuler par des femmes perverses ou aussi perdues qu’eux, les personnages des romans et nouvelles de Harrison nous emportent dans les vastes étendues de cette nature omniprésente en Amérique du Nord. Ils se révèlent à eux-mêmes ou restent pétrifiés dans leurs certitudes et leurs habitudes, mais où qu’ils aillent, nous les suivons dans leur détermination : quête amoureuse dans Un bon jour pour mourir, quête du sens de la vie dans Nord-Michigan où le héros doit choisir entre garder la terre de ses ancêtres ou partir et entre deux femmes, quête familiale dans Dalva, l’un de ses romans les plus célèbres où une femme part à la recherche de son fils mais se pose des questions sur son grand-père qui a tant influencé sa vie, et dont Harrison a écrit une suite 6 ans plus tard : La Route du retour et bien sûr, la novella que tous les cinéphiles connaissent : Légendes d’automne avec un Brad Pitt tout jeune dont le talent se révélait, ou bien encore Revenge que Hollywood a transformé en bluette romantique mais que je vous engage à lire, c’est autrement plus puissant. Chaque roman ou nouvelle est en effet écrit dans un style ciselé magnifique (je les lis en anglais et c’est un régal d’érudition) mais avec une certaine distanciation. Poète, Jim Harrison manie la langue comme peu le font, et j’en profite pour rendre ici hommage à son traducteur, Brice Matthieussent, un homme délicieux, modeste comme tous ceux qui ont un vrai talent. Traducteur de Kerouac et Snyder, il a traduit Tom McGuane, ami de Kerouac et immense auteur américain également, puis son ami Harrison « tout naturellement », dit-il.

Jim Harrison décrit des gens simples qui se posent des grandes questions, une ruralité qui oppose les tenants d’une tradition stricte et étouffante à d’autres qui veulent vivre autrement mais ne peuvent se défaire facilement de leurs chaînes. La mort est omniprésente comme un rappel que la vie est précieuse, la nature joue un rôle comme n’importe quel autre personnage car c’est elle qui nous façonne, et tout cela nous ramène aux fondamentaux : s’entraider et non pas se haïr, préserver notre environnement et non pas le détruire, y prendre notre place sans chercher à nous hisser au-dessus des autres êtres vivants mais dans un respect total.

Je vous montre ma collection, j’espère que vous aurez envie de découvrir cet auteur à votre tour, et de vous créer votre propre collection :

Jim Harrison

 

 

 

 

 

 

Un extrait, en anglais tant pis, de True North, traduit sous le titre De Marquette à Vera Cruz :

I slipped out very early for a walk with No. The wind had subsided clocking around to the east and though the air was coolish there were still rumpled whitecaps on Lake Superior. The sky looked washed, glistening blue, and the sunrise made my tired heart ache. No led the way downhill on a path through alders  and dogwood to the beach, a path he evidently knew.

Tout est là : le jour se lève, le narrateur est mélancolique, son chien l’emmène vers la plage, dans une promenade qu’il connaît et qui remettra du baume au coeur de son maître. Prose poétique entre deux passages plus crus, mais toujours décrits dans ce style fluide et mélodieux qui nous berce. Le conteur est à l’oeuvre, nous sommes subjugués.

Jim Harrison est mort samedi dernier d’une crise cardiaque, à 78 ans, en écrivant un poème. Désormais, il doit boire les vins français qu’il aimait déguster, avec ses potes là-haut, James Crumley notamment… Santé, les gars !