Traduire, c’est trahir quoi ?

S’il ne s’agissait que de recopier un texte d’une langue dans une autre, tout le monde serait traducteur. La langue est le support d’une culture dont la littérature est un élément important, une expression vivante et dynamique. Retranscrire cette expression littéraire dans une autre culture, avec un autre système de références, mais sans dénaturer l’original, voilà le défi du traducteur. Tout d’abord, il y a les sourciers, qui privilégient la langue source et veulent garder son caractère au maximum. Mais attention, c’est dangereux, car cela peut donner des phrases comme « Bonjour ! ouvrit-il la porte. » Et oui, cela fonctionne en hongrois, mais vous le voyez bien, pas en français ! Ensuite il y a les ciblistes, davantage attentifs à la langue d’arrivée du texte. Passe-t-on d’un extrême à l’autre ? Pas totalement, car loin de trahir, les ciblistes essaient de rendre au maximum l’atmosphère d’un roman, la démonstration d’un essai, en usant d’autres outils que l’auteur. Etre fidèle à un cheminement de pensée, un style, une atmosphère, mais avec un autre vocabulaire et une grammaire différente, voilà le travail à accomplir.

Que peut-on traduire ?

Le style tout d’abord. Les longues descriptions lyriques de Cormac McCarthy soudain coupées d’une phrase lapidaire, c’est possible. Les métaphores filées de Miklós Szentkuthy qui durent une page et demie puis reprennent le récit là où il s’était interrompu, les images de sa fantaisie, par exemple dans Escorial Lucrèce Borgia qui discute sur un balcon avec un homme la nuit, le croissant de lune comme une dague enfoncée dans son chignon : tout le monde comprend qu’avec la perspective, le croissant en forme de dague incurvée a l’air enfoncé dans la coiffure de Lucrèce, et c’est aussi une allusion à sa témérité et à sa dépravation, les Borgia ne reculant pas devant le meurtre pour réaliser leurs projets. Les références culturelles universelles se traduisent également, citations bibliques, shakespeariennes, extraits de la littérature mondiale dont il faut aller vérifier en bibliothèque la traduction exacte car un confrère a traduit déjà.

Que peut-on adapter ?

Les locutions figées : « Boire comme un trou » qui se dit « boire comme le pélican » en hongrois par exemple ; les résultatives anglaises comme « she cried herself to sleep » que l’on traduira par « Elle pleura jusqu’à s’endormir » (ma proposition, il y en a d’autres bien sûr) ; les phrases nominales dans les langues non indo-européennes comme le japonais, le hongrois ou l’arabe. Une périphrase est parfois nécessaire en français là où seuls trois mots décrivent une situation ou une émotion dans une autre langue, il ne faut jamais hésiter à développer !

Qu’est-ce qui est intraduisible ?

Les jeux de mots bien sûr, à moins d’en faire un dans la même phrase sur un autre mot ou, comme je l’ai fait une fois, dans la phrase d’après où c’était possible, histoire qu’il y en ait un dans le passage. Les termes qui se réfèrent à des objets ou des coutumes qui n’existent que dans le pays où est parlée la langue. Dans ce cas, deux solutions : soit traduire par un terme qui décrit une réalité ou un objet à peu près équivalent, soit laisser le mot dans la langue d’origine, avec une explication dans le texte ou en note. Parfois, le contexte aide à comprendre, les notes alourdissent le texte.

Mais dans aucun cas on ne peut dire que le traducteur est un traître, s’il traduit, c’est parce qu’il a aimé le texte, ou qu’il aime la littérature dans cette langue et qu’il veut partager son émerveillement avec tous ! Traduire n’est pas seulement lire un texte, mais pénétrer la pensée et l’imagination de son auteur pour utiliser les meilleurs outils afin de les offrir aux lecteurs qui ne parlent pas sa langue. Le traducteur est un passeur, il permet de traverser d’une rive linguistique à une autre.

Poursuivre le débat et en savoir plus :

Le Printemps de la traduction propose une soirée avec Tiphaine Samoyault à la Maison de la Poésie à Paris le mercredi 25 mai, renseignements en cliquant ici et, pour avoir tout le programme de la manifestation qui a lieu du 25 au 29 mai, consultez le le site d’Atlas, l’association pour la promotion de la Traduction littéraire.

Des questions ? Je suis disponible pour y répondre et, si vous tapez mon nom dans la barre de recherche Google, vous serez redirigé vers les sites qui parlent des livres que j’ai traduits…