Identité ou territoire ?

Née en France, française, j’ai toujours revendiqué mes origines hongroises, parfois comme une fierté, parfois pour me faire remarquer en paraissant originale. S’il y a beaucoup d’immigrés en France en effet, la communauté hongroise n’y est pas très visible ni connue et le pays, bien qu’entré dans l’Union Européenne le 1er mai 2004, est inconnu des Français. Il a donc toujours paru exotique de s’avouer des origines d’Europe de l’Est. Dans les années soixante, c’était même pire : on ne savait rien de ce qui se passait derrière le Rideau de Fer. Je nous faisais donc volontiers passer pour des martyrs pour me rendre intéressante à l’école en début d’année auprès des enseignants et de mes nouveaux camarades de classe, en majorité français. Mais alors venaient les questions : Pourquoi on est ici ? Ah bon, on ne peut pas retourner, pourquoi ? Que se passe-t-il actuellement là-bas ? Tu penses bien qu’à 10 ans, je n’avais pas les réponses à ces questions, alors j’improvisais à partir des bribes que j’avais entendues ou comprises et j’étais mal à l’aise de répondre un peu n’importe quoi… La Hongrie devenait un pays fantastique mais interdit et la France, un pays étranger !

Encore aujourd’hui, quand je parle un peu longtemps de la Hongrie avec des Français, je me surprends à employer le pronom « nous » et à parler comme si je menais une vie totalement différente de celle d' »eux », les Français, mes compatriotes tout de même. Et cela ne choque pas du tout mes interlocuteurs qui me considèrent comme une sorte de témoin privilégié originaire d’un univers étranger et lointain, voire mystérieux et fascinant. Il m’arrive même de critiquer un trait de caractère français comme si je ne parlais pas de gens que je côtoie au quotidien et à la société desquels j’appartiens aussi.

Le plus drôle, c’est que je fais exactement la même chose en Hongrie, quand on me demande comment « nous » vivons en France ! Et cette fois, ce sont les Hongrois les « eux » différents et étrangers. Depuis toute petite en Hongrie, j’ai fait l’intéressante de la même façon en montrant bien que je venais d’un ailleurs lointain, exotique, voire fascinant.

Alors, qui est ce « nous » tantôt français, tantôt hongrois ? C’est moi, bien sûr, intégrée aux deux sociétés et du coup, ayant la possibilité d’en parler en détails, avec leurs défauts et leurs qualités respectives, mais toujours avec de l’affection, consciente de la richesse qu’elles m’apportent. Eux et nous constituent ma personnalité dans un va et vient perpétuel dont je m’amuse aujourd’hui, mais voilà aussi pourquoi je me sens très européenne.