Mais quoi donc ? Une opération chirurgicale ? Un saut à l’élastique ? Rien de tout cela, et mieux : ça y est, j’ai la double nationalité !

Quelle histoire à suspense ! Mais un bref récapitulatif d’abord : mes parents démissionnent du Consulat et restent à Paris quand le Ministère des affaires étrangères les rappelle en Hongrie en 1949. Ils sont déchus de leur nationalité hongroise… selon un journal de la dissidence. En effet, nous qui avons des documents sur tout, nous n’avons pas celui-là… Bizarre… Bref, nous devenons français en 1961, avec carte d’identité, passeport, plus d’accent sur le 2ème a de notre nom, mais bon, voilà…

Changement de régime en 1989, les soldats soviétiques quittent la Hongrie l’année suivante (je rappelle qu’ils sont arrivés en 1944) et petit à petit, on s’intéresse à tous ces émigrés, exilés à l’Ouest que le gouvernement appelle à investir dans le pays natal pour faire redémarrer l’économie sinistrée suite à l’effondrement du système dirigé depuis Moscou. Et si vous commenciez par nous rendre notre maison ? demande Maman. Euh… ben non, les locataires la rachètent à l’Etat sans prévenir. Mais moi, j’aurais bien aimé acquérir la nationalité hongroise vers cette époque. Ne mélangeons pas tout ! dit Maman. Ah bon ? Alors je vais attendre… En 1993, réhabilitation des personnels des ambassades ayant travaillé « à cette période difficile » et re-naturalisation de mes parents. Mais la maison de mes grands-parents n’est toujours pas redevenue à nous, alors maintenant, ça va bien, j’ai attendu donc… je me lance ! Et au culot !

Décembre 2015 : appel au Consulat, je demande un passeport hongrois. Les documents à remplir me sont envoyés par mail. Nom de jeune fille de la mère, nom du père, des grands-parents, leurs dates et lieux de naissance, extrait d’acte de naissance (c’est numérisé, tu demandes en ligne, trop bien !)… Un rendez-vous est fixé au 15 janvier 2016 au Consulat. J’ai la trouille, ma cousine me rassure en me disant que dans les administrations hongroises, c’est la règle d’être désagréable, je ne dois pas me laisser impressionner ! J’y vais avec tous les papiers, la lettre officielle de re-naturalisation de Papa et Maman et tout le toutim. Empreintes digitales, photo spéciale passeport, tout y passe… jusqu’à ce que l’employée consulaire appelle à Budapest et s’avise qu’il n’est pas sûr du tout que je sois de nationalité hongroise ! Mais mes parents le sont ?! (je fais un peu l’innocente). Nouveau tas de papiers à remplir, je demande donc officiellement la nationalité hongroise avec la justification suivante : mes parents ont été hongrois. Mais, me dit cette dame très professionnelle et pas très aimable, si ma naissance n’a pas été enregistrée à l’état civil hongrois, je n’existe pas ! Il faudra alors que je fasse une demande de naturalisation comme n’importe qui d’autre. Au passage, je raconte un peu l’histoire familiale, ce qui n’est pas très courant, je le vois bien : mon cas surprend. Ah et puis, je n’aurai pas une réponse rapide ! Bon, il ne me reste plus qu’à espérer…

Juin 2016 : Appel de la dame qui s’occupe du dossier : ma demande a été rejetée, nouveau rendez-vous est pris pour remplir d’autres documents et écrire au Président de la République pour demander ma naturalisation comme n’importe qui n’ayant pas de liens avec la Hongrie. Je me sens humiliée, rejetée par le pays de mes origines qui n’en a rien à faire de mon désir de concrétiser mon ressenti patriotique !

Juillet 2016 : Acte de mariage plurilingue de mes parents, les mêmes documents une nouvelle fois, et une page à remplir avec une biographie où je dois expliquer mes liens avec la Hongrie et donner les noms et adresses des personnes que j’y connais. Je parle de ma famille, de mes amis, des auteurs que j’ai traduits, de ceux dont j’ai été l’interprète… Les visites, les fêtes de famille, les mails quotidiens à ma cousine… Tout cela en hongrois bien sûr et j’ai envie de te jeter tout ça à la figure, mon deuxième pays qui me rejette ! Ah et puis, ça prend entre 9 mois et un an, je ne dois pas m’attendre à une réponse cette année. Ben alors merci ???!!!

27 décembre 2016 : Mail de la Consule elle-même : le Président de la République donne une réponse positive à ma demande ! Je suis invitée à prêter serment à la Hongrie (oui, à la nation, pas à son gouvernement) le 31 janvier 2017 à 11h30 à l’Ambassade et ma nationalité deviendra effective ! Je transfère ce mail à ma cousine qui m’a encouragée tout du long, les larmes aux yeux.

31 janvier 2017 : Nous sommes une dizaine, Maman m’accompagne et se remémore plein de souvenirs. Il se trouve que l’ambassadeur actuel est le petit-neveu de celui pour qui elle a travaillé en 1948-49 ! Dans son discours, il dit fort joliment que les pays ont des frontières, mais pas les peuples, aussi il nous accueille solennellement parmi le peuple hongrois. Après l’hymne national, prière à Dieu de protéger les Hongrois, nous jurons que nous reconnaissons la Hongrie comme notre patrie et que nous allons la servir au mieux de nos capacités. On boit un verre et l’employée consulaire qui a suivi mon dossier me dit que j’aurai bientôt mon passeport, qui sera ma pièce d’identité officielle et sur laquelle figure mon nom avec son accent á sur la 2ème syllabe. J’ai gardé Dominique car en hongrois Dominik est uniquement un prénom masculin, mais mon 2ème prénom s’écrira Viktória et non pas Victoria comme sur mon passeport français. Waouh !

Honositasi okirat

 

 

 

 

 

 

 

 

28 février 2017 : Mon passeport est arrivé ! Je peux venir le chercher quand je veux ! J’y vais dès le lendemain et, quand la dame au guichet me demande mon nom, je peux enfin fièrement le prononcer à la hongroise ! Je vais l’emporter à Budapest et fêter cela en famille une semaine plus tard. Enfin, moi aussi je peux dire : « Je rentre chez moi à telle date » et cela ne sonnera plus bizarre comme quand j’imitais ma famille ou mes amis nés en Hongrie. Moi aussi maintenant je peux dire « Chez nous en Hongrie… » ou « Nous les Hongrois… » et ça ne sonne pas faux !

Utlevelem

Voilà pourquoi je me sens réunie, non pas que j’étais coupée en deux parties égales, mais comme dans le symbole du Tao, où il y a du Yin dans le Yang et inversement, il y a de la Hongrie dans mon moi pas entièrement français et de la France dans mon moi pas entièrement hongrois. Aucun des deux ne prend l’ascendant sur l’autre et ensemble, ils composent mon moi, ma personnalité intègre. Et dans ce monde que l’on juge de plus en plus clivé et replié sur des communautarismes, quel témoignage de multiculturalisme plus juste pouvons-nous apporter ? Chacune de nos traditions et de nos cultures enrichit l’autre et nous ouvre forcément à l’autre, d’où qu’il vienne. Allant et venant entre deux pays, nous les binationaux, nous pouvons tendre la main à ceux qui arrivent, à ceux nés ici mais dont les racines sont ailleurs. Nous ne pouvons croire qu’en la tolérance et au métissage sans pour cela céder à une mondialisation commerciale absurde qui cherche à uniformiser les modes de vie de tous les peuples. Nous incarnons une diversité dynamique dans le respect. Et comme le disait si bien Otto de Habsbourg : « Celui qui ne sait pas d’où il vient ne peut savoir où il va car il ne sait pas où il est. »