Notre arrivée

Le temps de descendre du train, d’aller à l’hôtel, de nous rafraîchir et de partir en ville, il est 11h30. Les archives ferment de 12h à 12h30 pour la pause déjeuner (oui, vous avez bien lu, une demi-heure pour des fonctionnaires, pas croyable, hein ?) donc nous nous dépêchons, Csilla et moi. Nous passons sous le porche, sonnons à l’interphone, la porte s’ouvre et dévoile un escalier. Je suis émue, il y a l’odeur des escaliers dans les vieilles maisons de Budapest où j’allais dans mon enfance…

Le bâtiment est typique des constructions de l’Empire au XIXème siècle : très haut de plafond, avec de grandes portes en bois et des parquets cirés. Interdiction de prendre des photos, quel dommage ! Nous frappons à l’accueil et entrons dans un vaste bureau où une jeune femme charmante nous invite à nous asseoir dans le coin salon. Ma cousine s’installe sur le canapé, moi dans un fauteuil en face. Entre nous, une table basse, sur laquelle on nous dépose des formulaires à remplir. Au mur, une énorme carte de la Hongrie de 1914 avec les régions perdues après la Première Guerre mondiale. La jeune femme nous explique comment remplir les papiers. Je crois qu’elle est impressionnée que je vienne d’aussi loin pour ces recherches généalogiques (et peut-être aussi, que je parle aussi couramment le hongrois). A force d’y habiter, je ne m’en rends pas compte, mais Paris est une ville mythique pour ces gens qui n’ont pas pu voyager « à l’Ouest » pendant tant d’années…

Les microfilms

L’archiviste a vu large : nous allons essayer de retrouver la trace de notre arrière-grand-père, né à Mohács, région de Baranya, en 1850 et de ses parents, mariés disons entre vingt et trente ans plus tôt dans la même ville. On nous a sortis les registres de naissance et de mariage de 1785 à 1900. Waouh ! On aura juste de 12h30 à 16h pour parcourir tout ça ! Un sentiment d’urgence nous habite, Csilla et moi, mais pour éviter les désillusions, nous nous mettons d’accord pour reconnaître que l’aventure est déjà extraordinaire en soi, si en plus elle aboutit à des résultats concrets, ce sera la cerise sur le gâteau.

La dame de permanence dans la salle de recherches nous montrera le vestiaire et nos casiers pour déposer toutes nos affaires et nous apprendra à manipuler les rouleaux. Pour l’heure, c’est le déjeuner.

Ma cousine Csilla devant les Archives

Ma cousine Csilla devant les Archives

Les registres de naissance

Sont photographiés les gros registres de la commune remplis par les prêtres qui enregistraient les naissances à l’époque. Y figurent les années mois par mois, les jours, lieux (en l’occurrence, Mohács), les noms des parents avec la profession du père, les noms des témoins et celui du curé. Nous décidons d’un commun accord que notre arrière-grand-père, Gyula Ignác, n’est peut-être pas l’aîné et nous remontons jusqu’à 1840. Nous nous focalisons sur la colonne des parents, je tourne la molette et déplace le film sur la loupe de haut en bas, suspense… Et bingo ! en 1842 apparaissent les noms des arrières-grands-parents ! Nous n’arrivons à déchiffrer ni le prénom calligraphié de l’enfant, ni la profession du père, sans doute en latin. La dame vient à notre aide : c’est Carolina, une petite fille, et l’arrière-arrière-grand-père fabriquait des coffres. Ces coffres en bois peint dans lesquels les paysans rangeaient leur linge au XIXème siècle, sans doute.

Je tourne la molette, tourne, tourne… Notre arrière-arrière-grand-mère avait-elle un secret pour ne pas concevoir rapidement ? L’idée nous fait rire quand tout à coup : un 2ème enfant ! Antal Venczell est né en 1845 et, selon la bonne vieille tradition, se prénomme Antal comme son père. Ce dernier tient désormais une taverne. En 1847 naîtra un 2ème garçon, István Gyula, et enfin notre ancêtre direct, Gyula Ignác, en 1850. Ce prénom, Gyula (Jules en français) va rester dans la famille, puisque ce sera celui de mon grand-père, dont on peut désormais supposer qu’il est le premier fils puisqu’il s’appelle comme son père. Ce sera aussi le 2ème prénom de mon père… J’aurais eu un fils, je l’aurais peut-être appelé Jules, qui sait ?

Les registres de mariage

Nous sommes ravies par nos découvertes, la dame archiviste se réjouit avec nous. Elle nous explique que les chercheurs ne repartent que très rarement plus en arrière que la personne recherchée et c’est dommage… Oui et un peu bête quand on a cette documentation impressionnante à disposition…

Nous voici dans les mariages, avec les années, les mois, les jours, les noms, âges et adresses des mariés, et les noms de leurs parents. Si nous trouvons là les parents de notre arrière-grand-père, nous remonterons une génération dans notre arbre !!! Imaginez notre excitation !!!

Nous faisons un rapide calcul : si Carolina est née en avril 1842, elle a été conçue vers juillet 1841. Nous décidons de commencer à 1835 pour être sûres. Les écritures sont calligraphiées en latin au début, parfois à moitié effacées, on va y laisser nos yeux ! Mais on s’accroche, ça vaut la peine !!! Il y en a eu, des mariages, dans la commune ! Mais pas nos arrières-arrières-grands-parents… On remonte lentement le temps, on dépasse même 1842, alors que Carolina est née légitime… Rien. Quelle déception ! Nous reepartons plus loin dans le temps, jusqu’à une date improbable, 1825, puisque cela aurait fait naître notre aïeul au bout de 25 ans de mariage de ses parents. Tant pis, nous ne sommes tout de même pas bredouilles…

Conclusion

Qu’avons-nous appris en une après-midi ? Notre aïeul avait une soeur et deux frères aînés, nos arrières-arrières-grands-parents étaient déjà mariés quand ils se sont installés à Mohács et notre arrière-arrière-grand-père a changé de métier et a eu une auberge pour finir. Nous projetons de chercher ses coordonnées dans un éventuel registre du commerce du milieu du XIXème siècle, si cela existe, et nous continuerons nos recherches sur les frères et la soeur de notre arrière-grand-père qui sont peut-être restés dans la région.

Et j’ai appris quelque chose d’extraordinaire de mon côté : les Hongrois avaient nommé les mois de l’année en fonction des fêtes religieuses. Cela nous donne, dans ma traduction :

Janvier : le mois de la Bienheureuse Vierge Marie ; Février : le mois du jeûne ; Mars : le mois d’après Carême ; Avril : le mois de St Georges ; Mai : le mois de la Pentecôte ; Juin : le mois de St Jean ; Juillet : le mois de St Jacques ; Août : le mois de la Nativité de la Ste Vierge ; Septembre : le mois de St Michel ; Octobre : le mois de Toussaint ; Novembre : le mois de St André ; Décembre : le mois de Noël.

L’archiviste de permanence nous indique que tout ce qui relève du Livret de Famille existe en double aux Archives de Budapest. Et notre carte d’entrée aux Archives de Pécs nous donne le droit de consulter les archives de tout le pays pour 2014. Alors, d’ici la fin de l’année, peut-être irons-nous à Óbuda ensemble… Nous nous sommes prises au jeu de ces recherches.