LA MOTIVATION

Au bureau, nous recevons des collègues de tous les pays arabes, nous leur téléphonons. Ils me parlent de leur pays, leur accent chante à mes oreilles… Ils s’expriment dans un français fleuri, un anglais chaleureux. Toute l’exubérance de l’Orient se retrouve dans leurs échanges avec nous. Et nous adoptons l’arabe comme langue de communication officielle, avec le français et l’anglais. Je vois passer des textes dans cette graphie dansante totalement indéchiffrable, ça m’intrigue, « ils » m’intriguent. Pourquoi ne pas aller vers eux, moi qui parle déjà cinq langues ?

MES DEBUTS

Le Chef est d’accord avec mon projet : je vais apprendre l’arabe. Aucun effort à faire, le professeur se déplace jusqu’à mon bureau ! C’est donc ma sixième langue vivante (la 7ème si je compte le bengali dont je n’ai appris que les rudiments avant d’abandonner), la 3ème qui ne s’écrit pas avec des caractères latins, après le bengali et le japonais, et la 3ème non indo-européenne après le hongrois et le japonais. J’ai donc tout de suite quelque chose à quoi me raccrocher. Accepter donc comprendre une structure autre, un mode de pensée soutenu par une construction spécifique. Chaque mot a une racine, reconnaître la racine dans un mot c’est tout de suite en comprendre le sens. Et puis il y a les sons ! Telles des caresses, des chuintements, des murmures à l’oreille… Séduction des sonorités, fascination pour la sémantique qui permet le sous-entendu, la concision, la poésie ! Ouverture à une culture jusqu’ici mystérieuse, explication par la langue de processus culturels jusqu’alors obscurs, compréhension soudaine de l’origine de certaines expressions aux traductions biaisées ou simplifiées. Vision globale d’une langue ancienne, complexe, souple, riche, agile, nuancée, qui permet les élans poétiques ou la coupante précision de la philosophie, les élans d’amour et la mystique de l’amour suprême, celui pour Dieu. Pénétrer la culture de ce peuple à la sagesse antique en manipulant son vocabulaire, d’abord maladroitement, puis s’approprier les constructions grammaticales fascinantes, autres, étranges étrangères, outils de précision pour viser au plus juste de la pensée, pensée venue du fond des âges. La base dont tout le monde s’est éloigné dans les pays arabes mais à laquelle tout le monde revient. « Classique », « littéraire », socle commun à tous les dialectes qui jonglent avec les structures, inventent des néologismes, se laissent influencer par les colonisateurs, gouverneurs, mandataires, anglais, français…

ET L’ECRITURE

Alphabet, certes, mais les lettres ne s’écrivent pas de la même façon suivant qu’elles sont initiales, médianes ou finales. Il y a celles qui s’accrochent et celles qui ne s’accrochent pas aux suivantes. Des mots avec des espaces… Les voyelles courtes ne se notent pas, les voyelles longues qui se notent, au nombre de trois : a, i, u (prononcé ou). Un seul article défini indépendamment du genre (car il y a des genres en arabe, contrairement à d’autres langues non indo-européennes). La consonne initiale qui admet la prononciation complète de l’article al – sur le modèle d’al qamar, la lune – est donc lunaire ; la consonne initiale qui n’admet pas la prononciation du « l » de l’article al – sur le modèle d’achams, le soleil – est donc solaire. De la poésie déjà dans la grammaire : les consonnes lunaires rêvent-elles ? les consonnes solaires brillent-elles d’un éclat aveuglant ? Et pas d’article du tout : le nom est indéfini.

MON PROFESSEUR

Tarek est égyptien, diplômé d’Al-Azhar, la prestigieuse université du Caire. Cultivé, fin, drôle, curieux, passionné, il est jeune et poursuit des études de didactique de l’enseignement des langues étrangères, se spécialise dans l’étude de l’enseignement du dialecte égyptien en France à travers l’analyse des manuels existants. Nous échangeons sur la linguistique comparée, l’Islam et le catholicisme, les coutumes occidentales et arabes. Parfois je l’entraîne dans des débats qui nous éloignent du cours, mais il se laisse volontiers emmener, il sait que je ne lâcherai pas comme tant d’autres de ses élèves rebutés par la difficulté de la langue et prend désormais son temps pour échanger avec moi sur nos centres d’intérêt communs. Sa méthode n’est pas tout à fait celle des professeurs de langue mais elle me convient parfaitement et je progresse vite. J’expliquerai comment une prochaine fois…

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