Au pays des lettres solaires et lunaires vit un guide merveilleux pour les touristes linguistiques, un ragoul aux yeux noisette en amande. Durs comme les coques de ces fruits et secs de même ? Que nenni ! Rieurs quand il pense me désarçonner avec la phrase nominale, complices quand je saisis vite une règle de grammaire…

Il a vogué ainsi, sa3id, dans la felouque de l’inaccompli, pendant que je ramais derrière lui dans celle de l’accompli. Pendant trois ans, il m’a violemment jetée dans une mer de vocabulaire, me noyant dans un tsunami de sons étrangers mais caressants qui charmaient mon oreille et stimulaient mon cerveau, provoquant sans cesse mon intelligence. Sans pitié, il m’a tirée toujours plus loin, confiant que j’atteindrai la rive de la syntaxe arabe saine et sauve et que le pluriel interne brisé ne me briserait pas le cœur à l’apprentissage. Malmenée, je l’ai traité de pervers et de sadique, alors il déposait un cadeau sur notre table de cours, sous la petite lampe du bureau du Chef : Oum Kalthoum, avec les paroles du poète Samir Megally, Naguib Mahfouz ou un texte d’Al Ghazali le soufi que j’admire tant ! Défaillante d’émotion, reconnaissante de me voir ouvrir ces portes culturelles sur des univers magiques, j’avançais ainsi à sa suite sans crainte.

Lorsque le découragement me surprenait, un soir de grande fatigue, il refusait d’en tenir compte, me prenant par la main pour me mener vers de nouvelles aventures : des reportages sur Al Jazeera, un documentaire avec des commentaires en voix off, des extraits de films égyptiens, marées de sons dont aucun mot précis ne se détachait. Alors venait la question : qu’as-tu compris ? Dis-le moi en arabe ! Je suppliais, je n’avais rien compris, au bout de deux minutes je m’étais laissée bercer par la musique envoûtante de la langue et mon esprit était parti vagabonder dans les déserts aux mirages réels. Et puis un jour, à force de persévérance, de sa part comme de la mienne, enfin j’ai compris de quoi parlait l’homme interviewé ! Et j’ai pu le dire en arabe, avec mes mots et ma syntaxe hésitante certes, mais tout de même, quelle victoire ! Nous nous en sommes réjouis ensemble, embarqués dans cet apprentissage des deux côtés du monde, nous tendant la main, échangeant sur nos deux cultures, nos deux religions, nos deux coutumes…

Puis il y eut ce soir où, tel un amant se dévoilant devant sa bien-aimée, la langue arabe m’a montré ses secrets les plus intimes : sa morphologie ! Il existe en effet un tableau qui déploie toutes les variantes des racines morphologiques du lexique ! Je me trouvais soudain devant le portail d’un jardin magnifique empli de roses aux parfums suaves ! Je venais d’être initiée aux arcanes les plus ésotériques de cette langue étrangère qui soudain ne l’était plus. Toute ma vie, je me souviendrai de ce moment de pure jubilation et de partage euphorique.

A présent, ces trois ans de cours se sont terminés. Tarek vogue vers de nouvelles aventures, je lui ai promis de ne pas mettre mon beau vaisseau arabe en cale sèche, de continuer à déchiffrer le journal, d’écouter de la musique arabe et de ne correspondre avec lui que dans cette langue. En attendant de retrouver un guide linguistique, de partir pratiquer dans un pays de l’autre côté de la Méditerranée, je serai fidèle à mon premier professeur auquel je rends hommage pour sa patience et sa passion. Merci Tarek, on ne se perd pas de vue sadi9i !

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