Ibn Batouta , voyageur et aventurier,  vivait avec sept siècles d’avance le calvaire des Tangérois  qui n’ont pour trésor que les souvenirs glorieux d’épisodes sans archives, sans témoin ni date précis. On raconte que ses récits des autres mondes, et particulièrement ceux de l’Asie, laissaient souvent ses interlocuteurs les plus polis dubitatifs et les moins éduqués colériques. Son tombeau apparaît au détour d’une petite ruelle montante près d’une sortie de la casbah, côté rue d’Italie. Regarder ce monument, pourtant indiqué dans les guides, étonne les autochtones et fait rire les enfants. A quelques mètres, dans cette fameuse rue d’Italie qui se prolonge en rue casbah, mille histoires contemporaines sont déjà délavées. Le cinéma Alcazar est en ruine, l’alcool introuvable et les Dancings des légendes. Comment Ibn Batouta pourrait-il être sanctifié dans un tel périmètre où la nostalgie est un sentiment totalement inconnu ? Ici, même Allah ne semble pas être adoré de la même manière. Combien de Marocains vous reprennent en précisant : « Mais Tanger ça n’est pas le Maroc « .

Aujourd’hui, Ibn Batouta donne son nom à l’aéroport de la ville, avec un sentiment de fierté relative plutôt que modeste. Avait-il les mêmes yeux humides et pétillants en narrant ses exploits que celui qui raconte ses virées avec les Rolling Stones ? Avait-il peut-être la même pudeur que celui qui ne détaille pas ses dîners avec Paul Bowles mais se régale de les mentionner ? Celui qui prétend que son aïeul avait guidé et soigné Matisse inspire-t-il la même méfiance qu’un explorateur du quatorzième siècle ?

Vue de la villa de France, chambre de Matisse

Vue de la villa de France, chambre de Matisse

 

 
Dans un café dominant toute la casbah, donc le tombeau discret d’Ibn Batouta, un vieux Tangérois me fait part des doutes qui entourent ce héros antique et me raconte ses propres frasques avec lui aussi, sa bonne foi comme seul atout persuasif.

 

 

 

Il y a ici quelque chose d’unique, c’est cette façon de raconter les années sulfureuses avec l’objectif généreux de vous faire rêver. Les grands écrivains ou le plus grand groupe de rock anglais ne représentent pas grand-chose dans l’esprit des autochtones. La simple joie de vous voir rêver quelques instants motive cette  envie de partage. C’est en cela que Tanger n’a pas changé. On se souvient des personnalités dont la dimension humaine et le charisme dépassaient l’œuvre et la notoriété. Il y a toujours autant de peintres, des poètes et des musiciens qui se cachent ici. Ils vivent simplement et nul ne sait si l’une ou l’un ne connaîtra la gloire dans quelques décennies. D’autres générations viendront alors  déambuler ici pour tenter de percer, en vain, le mystère de leur inspiration.

Le café Haffa

Le café Haffa

 

Selon les témoins privilégiés, William Burroughs n’était qu’un pauvre américain drogué et sale parfois charmant, souvent odieux. On le tenait à l’écart autant que possible, on changeait de trottoir avant de le croiser. Il est très fréquent que ceux qui vous le racontent le confondent avec un de ses visiteurs américains de passage.

 

Brian Jones était le gamin sympa et bohème du Café Baba. On le savait connu en Europe mais on n’a jamais imaginé faire jouer les Stones à Tanger.

café Baba

 

 

 

 

 

C’est le comportement énigmatique des Tangérois qui incite à penser que les fantômes sont toujours là. Ces esprits ne sont ni des morts vivants ni des revenants. Ils sont là, créatifs, discrets et anonymes comme l’ont toujours été les artistes qui se réfugient dans cette cité où l’ego, la critique, la subvention et les cérémonies n’existent pas. Ils créent sous l’influence de tous leurs sens que ce lieu unique réveille.

Hersen Rivé au Café Haffa, par Arnaud Contreras

Hersen Rivé au Café Haffa, par Arnaud Contreras

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’argent n’a pas d’odeur, Tanger en a tellement.

 

 

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