Au Centre Pompidou jusqu’au 3 octobre

Affiche sur la façade de BeaubourgEntrée de l'expo Beat Generation

Les commissaires de l’exposition ont dû se dire, en la concevant, que ce serait compliqué d’habiller l’espace énorme des expositions temporaires – Galerie 1, 6ème étage, si tu as le vertige, prépare-toi à remonter la coursive les yeux fermés – en montrant seulement des écrivains et des poètes. Alors ils ont eu l’idée « géniale » de replacer « le mouvement beat dans un horizon élargi », comme le dit la brochure. Et vas-y bien, mettons des photos de la série Les Américains de Robert Franck puisqu’on montre – et à juste titre – son film new yorkais Pull my Daisy dans lequel on voit Allen Ginsberg, William Burroughs, Gregory Corso, etc. et que c’est Jack Kerouac qui lit en voix off le poème écrit pour l’occasion. Ce film est montré à droite de l’entrée, c’est par là que ça commence, moi j’ai été victime des clichés et j’ai cru que le film était à la fin et je suis partie vers la gauche ! Mais des films, il y en a plein, d’abord la route sur trois grands écrans dès qu’on entre, car c’est quand même Kerouac qui domine tout… Ben oui, y a son tapuscrit du roman, le fameux rouleau de 36 mètres déroulé sous vitrine qui traverse toute la salle :

Tapuscrit de Sur la route

 

Et si tu pars à droite dans l’expo, tu vois la machine à écrire de Kerouac ! Objet culte s’il en fut :

 

 

 

 

 

Machine à écrire de Jack Kerouac

Avec ce roman, paru seulement en 1959, soit 8 ans après avoir été écrit, Kerouac impulse un nouveau style, qui sera qualifié de « beat » par les journalistes. Mais pour lui, il s’agit de prose spontanée, et il décrira précisément ce qu’il entend par là : noter dans des carnets tout ce que l’on voit, ce que l’on entend dans la rue, les bars, autour de soi, noter aussi nos propres impressions là où nous nous trouvons, puis restituer le tout dans une écriture rapide, naturelle, rythmée (l’un des sens du mot « beat ») sans se relire, sans ponctuer, sans s’arrêter. D’où ce rouleau de papier calque rapporté par un ami travaillant dans une imprimerie : ce n’est pas concevable de perdre du temps en changeant de feuille pendant la frappe. Il faut tout dire, on peut tout dire, ça préfigure presque ce flow des MCs du rap… Dans l’exposition, on voit aussi ses peintures et dessins sur tout un mur :

Peintures de Kerouac

Curieusement, on sent l’influence des surréalistes, de Dada, de l’expressionnisme, voire du Bauhaus, tous ces mouvements d’avant-guerre qui étaient encore très proches des années 45-50 quand ces poètes, photographes et peintres ont commencé à créer, jeunes artistes américains tournés vers l’Europe. L’Amérique n’avait-elle pas hébergé tous ces Européens menacés par le nazisme pour leurs oeuvres dégénérées ou simplement leurs origines ?

Outre cette réforme stylistique profonde à rebours de la poésie anglaise extrêmement codifiée – semblable à la révolution du vers libre contre l’alexandrin chez nous, les poètes et écrivains beats expriment une révolte contre la société de consommation américaine, l’idéologie dominante du dollar tout-puissant, de l’opulence matérielle et contre l’appauvrissement spirituel et intellectuel de cet après-guerre où les Etats-Unis ont sauvé le monde de la barbarie fasciste, mais doivent aussi résister au communisme en montrant combien le capitalisme est un meilleur système pour rendre les gens heureux dans une démocratie libre. Ainsi, le très célèbre poème de Ginsberg Howl, crie sa révolte et dénonce tout ce système. D’abord censuré, il paraîtra ensuite chez City Lights Books dans la série Pocket Poets de Lawrence Ferlinghetti, lui-même poète de ce mouvement. On peut l’entendre le dire au casque dans l’exposition  – cherchez bien, c’est dans un coin, hélas, et le manuscrit se trouve totalement ailleurs :

Manuscrit de Howl d'Allen Ginsberg

Il y a beaucoup de photos de Ginsberg, avec Peter Orlovsky, Gregory Corso, William Burroughs, à New York, ville qui constitue l’un des axes de l’expo, les deux autres étant San Francisco et Paris. En guest star, pourrait-on dire, le Mexique et Tanger. Et puisqu’on parle de Mexique, pourquoi ne pas mettre des photos et des films d’artistes des années 60 qui n’ont rien à voir avec le mouvement beat ? Et pour Tanger, pourquoi ne pas mettre un film sur Paul Bowles, qui n’a rien à voir ici ?!

Je n’ai pas compris toutes ces photos et ces peintures, même si ça m’a fait plaisir de voir une photo de Henry Miller à Pacific Palisades… Bien sûr, il y a des poèmes de Michael McClure, Philip Lamantia, une oeuvre de Kenneth Patchen sur un petit carton d’origine tout jauni, c’est émouvant mais je n’ai pas sorti mes lunettes… Et on voit aussi Kenneth Rexroth, qui pour moi a précédé les poètes beats et vivait déjà dans sa tour isolée après la guerre, donc ne devrait pas être ici. Du coup, pourquoi ne pas avoir montré des oeuvres de William Carlos Williams, voire Ezra Pound ? Il y a la vidéo de Dylan où l’on voit Ginsberg en arrière-plan, car Bob Dylan est l’un des héritiers du mouvement et cette exposition va jusqu’aux années 70.

En fin de compte, je me demande si tout n’est pas centré sur Kerouac, dont quelques vêtements ont été rassemblés dans une vitrine, c’est très émouvant,, et dont une grande citation orne un mur (outre le fameux Everything belongs to me because I am poor) :

Vêtements de KerouacPoème de Jack Kerouac

Tout ce mélange de photos, textes sur d’immenses kakemonos en anglais, vidéos, interviews au son pourri où l’on peine à entendre quelque chose, films sur écrans géants avec sous-titres énormes finit par nous saouler au lieu de nous expliquer les choses. Et, comme pour l’expo sur Guy Debord et le situationnisme à la BNF où l’on ne situait rien (oui bon, le jeu de mots est nul mais je n’ai pas résisté), si je ne m’étais pas spécialisée sur la Beat Generation pendant mes études universitaires, je serais ressortie en ne comprenant toujours pas de quoi il s’agit. En plus, mon chouchou, Gary Snyder, est à peine représenté sauf sur quelques photos, dont celle-ci, pendant son séjour au Japon, prise par Ginsberg en 63 et que je n’avais jamais vue, elle m’a émue.

Gary Snyder, 1963

 

 

 

Mais aucun poème !!! Il va donc falloir que j’écrive un article pour vous le présenter.

 

 

 

Donc je ne sais trop quoi vous conseiller… Documentez-vous avant d’y aller et vous serez émus par les manuscrits originaux et tous ces poèmes (bon, il faut comprendre l’anglais) et ces photos, ou… allez-y avec moi et je vous explique ?!

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