Qui n’en a pas eu ?

Un amant maladroit ou qui nous laisse en plan, une soirée qui ne se termine pas comme on l’avait prévu, un partenaire que l’on n’aurait jamais imaginé avoir nu dans son lit… les causes de ridicule sont nombreuses ! Dans son dernier roman, Anna Rozen décrit avec beaucoup de dérision des amis bobos et assène au passage des vérités l’air de rien. Car, contrairement à l’autre Anna (Gavalda), Anna Rozen aime bien que ses personnages pratiquent l’auto-dérision, conscients que leur vie, bien que très privilégiée, pourrait être meilleure.

Anna Rozen : J'ai eu des nuits ridicules

Son héroïne, Valérie, travaille chez elle pour une « boîte de prod télé » en réécrivant des scénarios de téléfilms mal fichus. Ses amis proches sont un journaliste bourru, une productrice de « talk-show » télévisuel très glamour, un artiste homosexuel très cash qui l’emmène dans des vernissages mondains. Sa vie pourrait être très sympa, elle approche la quarantaine en vivant dans un quartier réhabilité, boulevard Richard-Lenoir,  où s’installent des cafés à la mode, elle plaît aux hommes, tout va bien semble-t-il. Mais voilà, Thaddée, son amant préféré, est parti en Italie avec « sa régulière » et elle s’aperçoit que leurs 5 à 7 lui manquent terriblement. Elle en veut donc à la terre entière de ce sentiment de frustration. C’est alors qu’en rentrant à pied chez elle après un vernissage où elle a un peu bu, elle rencontre le jeune Etienne qui la supplie de l’héberger. Bien sûr elle refuse, mais il la suit jusque devant sa porte, alors elle le laisse monter. Il a « quatorze ans bientôt quinze » et ne veut rien dire. Valérie est tour à tour attendrie et exaspérée par son jeune hôte, sous les sarcasmes de ses amis qui la traitent de cougar. C’est par hasard qu’elle découvre l’identité de ce jeune fugueur qui lui a juste révélé son prénom et c’est en insistant sur son histoire, puisqu’en l’hébergeant elle est complice de sa fugue, qu’elle comprend ce qu’il fuit chez lui. Anna Rozen nous montre la frontière entre attachement affectueux et sexualité débridée, entre une vie bien réglée avec des frustrations somme toutes anecdotiques et de réelles détresses. Cela, avec beaucoup d’humour. Un extrait ? Avec plaisir :

    A une époque où on reste actif jusqu’à la mort (sexuellement s’entend, parce que côté boulot, le système en vigueur aurait plutôt tendance à vous éjecter dès la cinquantaine), une trentaine bien tassée n’a rien d’inquiétant, on peut encore se considérer comme jeune, surtout si on vit entre trentenaires.
Quant à la crise de la quarantaine, qui la guette n’en doutons pas, elle l’envisage avec humour, pour l’instant… Je crois que c’est tout.

Ce « Je crois que c’est tout » conclut des descriptions de fins de chapitre dans une forme de spontanéité très immédiate, très parlée, très post-moderne. Mais Anna Rozen n’en abuse pas et son récit n’est pas du tout déconstruit. Entre deux ironies, elle montre aussi le côté réellement grave de la situation :

    Le visage égaré d’Etienne disait assez quel genre de sale genre de brutalité il avait dû subir. Tellement, que Valérie se sentait perdue. Le prendre dans ses bras lui paraissait déplacé, autant que de le laisser tout seul sur le canapé, se débattre avec de douloureuses réminiscences.

Je ne raconte pas la suite car je vous laisse la découvrir si vous avez envie de lire ce roman très contemporain, très agréable. C’est un peu comme manger des sushis ou un repas chinois : sur le moment, on se sent rassasié, mais une heure après on a faim. En même temps, a-t-on toujours envie d’un cassoulet qu’on met des heures à digérer ?

Anna Rozen a aussi un blog, qui lui ressemble forcément donc il est rigolo, attendrissant et drôlement sympa. Si ça vous intéresse, cliquez ici

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